Charlemagne à Francfort: VIIIe-XVe siècles. Mémoire et espace urbain
von Pierre Monnet
La seule illustration placée en tête de l'ouvrage classique de Robert Folz sur le culte liturgique de Charlemagne dans les églises de l'Empire [Anm. 1] est extraite d'un manuscrit, censier aujourd'hui encore conservé à Francfort-sur-le-Main, [Anm. 2] qui représente l'empereur Charlemagne remettant à l'apôtre Barthélemy le modèle de l'église francfortoise portant le vocable du saint. Le choix de la miniature ne relève pas du hasard. Il s'agit là tout d'abord d'une preuve iconographique puissante du culte liturgique qui s'était répandu dans plusieurs villes de l'Empire depuis la canonisation de saint Charlemagne en 1165. [Anm. 3] Mais il y a aussi, et c'est le point intéressant pour notre propos, que la ville de Francfort y est étroitement associée au souvenir carolingien, mémoire consacrée par le choix de la ville et de l'église Saint-Barthélemy comme lieux officiels de l'élection du roi des Romains par la Bulle d'Or de 1356. Ce sont la naissance, la déformation et les supports de ce souvenir, à la fois carolingien et impérial, [Anm. 4] au service d'un espace citadin et d'une communauté urbaine qui retiendront ici l'attention. Il sera donc question d'un empereur et d'un mythe tout ensemble, ancrés l'un et l'autre dans un lieu central de l'Empire, tant il est vrai que c'est sans doute une des spécificités de l'idée impériale [Anm. 5] que de se déployer dans des lieux différents et de changer d'espace au gré des dynasties et des inflexions institutionnelles du royaume des Romains, assurément parce que le premier réceptacle incorporé de cette idée, l'empereur à la barbe fleurie, offrait tant de facettes.
Charlemagne, c'est une évidence, avait toutes les raisons d'occuper une place centrale dans l'uvre de Robert Folz et sa figure accompagne tous les grands livres de l'historien: c'est l'empereur du couronnement du 25 décembre 800, [Anm. 6] c'est le saint roi canonisé en 1165 pour lequel Frédéric Barberousse fait composer la «Vita Caroli Magni» et en l'honneur duquel Frédéric II cette fois fit fabriquer le célèbre reliquaire d'Aix-la-Chapelle en 1215, c'est l'ancêtre dont le souvenir est capturé par les grandes dynasties princières de l'Empire (Welfs, landgraves de Thuringe, ducs de Brabant, Wittelsbach de Bavière et même les Habsbourg), c'est aussi le porteur et l'incarnation de l'idée d'Empire en Occident. Bref, c'est le Charlemagne d'un médiéviste qui fut marqué, comme beaucoup, par la lecture des «Rois Thaumaturges» de son maître Marc Bloch d'un côté [Anm. 7] et par celle du «Frédéric II» de Kantorowicz de l'autre [Anm. 8] (ces deux ouvrages paraissant, on le sait, respectivement en 1924 et 1927, et inspectant chacun à leur manière les fondements sacrés, mystiques et théologiques du pouvoir royal, c'est-à-dire de la souveraineté, en Occident). [Anm. 9]
En liant Francfort à la figure de Charlemagne, le propos de cette brève présentation sera d'approfondir l'hypothèse émise par Robert Folz lorsqu'il passait en revue les différentes cités de l'Empire dans lesquelles s'était établi un culte impérial depuis le XIIIe siècle: à savoir qu'à côté des rois et des princes, les villes découvrirent tout le parti qu'elles pouvaient tirer d'un souverain saint, porteur d'une idée universelle et réceptacle de légitimité et d'identité. Si tel était le cas, nous serions alors en présence d'une forme de patriotisme urbain [Anm. 10] reposant sur une mémoire de large ampleur mais adaptée à un espace spécifique. Il convient d'ajouter que cette mémoire «historique» si l'on veut s'articule d'autant mieux à l'espace évoqué qu'elle s'accompagne d'une dimension sociale et politique en ce qu'elle paraît mobiliser le groupe dirigeant au service d'une conception du gouvernement et des intérêts citadins. Plusieurs villes de l'Empire semblent attester depuis le XIIIe siècle de la mise en place d'un tel phénomène, particulièrement à travers une légitimation par l'histoire. [Anm. 11] En raison de son passé carolingien, [Anm. 12] de sa situation géographique au milieu des pays germaniques de l'Empire, de son rôle comme lieu habituel de l'élection du roi des Romains, Francfort-sur-le-Main [Anm. 13] constitue un observatoire privilégié d'une telle rencontre entre un mythe et une ville.
Revenons pour cela sur l'illustration évoquée en ouverture. Elle montre, à gauche, Barthélemy portant le couteau, la tête et la peau de son martyr (il fut écorché en Arménie), [Anm. 14] et à droite Charlemagne à la fois identifié comme empereur par la couronne, le sceptre et le manteau bleu fourré, mais aussi représenté en saint de l'église catholique à égalité avec Barthélemy et représenté enfin en fondateur d'église. Tous deux sont érigés à part égale en saints patrons de la collégiale de Francfort, qui avait d'abord été dédiée au Saint-Sauveur puis restaurée en faveur de Barthélemy, seule église paroissiale de la ville et cur politique de la cité en raison de l'élection royale. L'égalité entre les deux personnages, l'un et l'autre – on le notera – nimbés, est soulignée par la parfaite symétrie des deux niches abritant chaque saint, mais également par la taille semblable de ces derniers, et enfin par l'effet de miroir qui fait se correspondre la position et le mouvement des bras et des mains, correspondance accentuée encore par le jeu des couleurs. En même temps, représentés en 1462 dans le censier du chapitre collégial commandé par le doyen Johannes Königstein, les deux saints sont aussi les patrons de la ville même, leur présence côte à côte traçant le cadre de ce que l'on pourrait appeler un véritable cycle de la mémoire urbaine.
En effet, ce n'est vraisemblablement qu'en 1167, sous le règne de Frédéric Barberousse, que le chapitre collégial de Francfort, fondation royale remontant à Louis le Germanique et consacrée par Raban Maur le 1er septembre 852, [Anm. 15] accueille les reliques de saint Barthélemy, reliques elles mêmes transférées par Otton II de Bénévent à Rome et redécouvertes en 1156 à la suite d'une crue sur une île du Tibre, si l'on en croit le «Carmen de translatione sancti Bartolomaei». Au-delà de la légende, il convient donc de garder à l'esprit que le transfert des reliques établissait une continuité avec la dynastie ottonienne et avec Rome d'une part et s'appuyait d'autre part sur la faveur de Barberousse, et ce en 1167 soit deux ans seulement après la canonisation de Charlemagne obtenue à l'arraché en 1165 par l'empereur Staufen des mains de l'anti-pape Pascal III En 1215 en tout cas, c'est Barthélemy qui figure sur le sceau du custos de la collégiale.
C'est seulement une fois cette liaison indirecte faite entre Barthélemy et Charlemagne par Barberousse interposé que purent se dessiner quelques décennies plus tard deux évolutions. La première fut la reconsécration de l'église du chapitre sous le vocable concurrent de saint Barthélemy en 1239 après rénovation du bâtiment. [Anm. 16] À cette date, le saint a définitivement chassé l'ancien patronage du Saint-Sauveur. La seconde évolution fut, alors même que le patronage de Barthélemy venait à peine de s'imposer, la propagation de la version selon laquelle c'est Charlemagne lui-même qui aurait fondé le chapitre alors qu'il est avéré qu'il fut fondé sur le modèle de Ratisbonne et d'Aix-la-Chapelle par Louis le Germanique qui a achevé à Francfort les travaux du palais entamés par Louis le Pieux et fondé une chapelle aulique, mentionnée en 874 comme «capella nostra». En tout état de cause, l'acte de consécration officielle de l'église par Raban Maur date bien de 852.
On trouve les premières traces de la version d'une fondation de la collégiale par Charlemagne en personne dans la narratio d'un diplôme d'Henri (VII) en 1228 quoique le document ne fasse qu'évoquer «Karolus Magnus» comme bienfaiteur du chapitre. [Anm. 17] Dans le préambule de cet acte qui confirme la donation du village de Kelkheim au chapitre, le roi invoque les bienfaiteurs et donateurs précédents, Charlemagne et Otton. Or pour le premier, il s'agissait en fait de Charles le Chauve. Consciente ou non, la confusion entre les deux Charles, préparée par un premier diplôme de la collégiale qui transcrivait en 1223 une confirmation des privilèges donnés par «l'empereur Charles» (il s'agissait bien de Charles le Chauve mais l'imprécision laissait la porte ouverte à toutes les falsifications), s'inscrivait bien en tout cas dans l'orchestration de la mémoire du premier empereur en faveur de la dynastie des Staufen depuis le règne de Frédéric Barberousse. Peu après, si l'on suit les indications de Robert Folz [Anm. 18] dans son étude du culte liturgique de Charlemagne, surgirait entre 1239 et 1250 la première inscription de l'empereur dans le plus ancien nécrologe du chapitre, suivie en 1250 du passage de l'empereur de l'obituaire au catalogue des saints avec la mention d'une messe en regard du 28 janvier dans le «Liber anniversarius». C'est ici que les disputes entre historiens se produisent car plusieurs spécialistes de l'histoire francfortoise, à partir des analyses codicologiques, de l'étude des mains et des problèmes de la datation du calendrier pascal, contestent que la mention de 1250 fasse déjà allusion à la sainteté impériale qui ne serait manifeste que dans les années 1320. [Anm. 19] Une thèse récente, développée dans le catalogue de l'exposition qui s'est tenue à Francfort jusqu'en février 2001 sur le culte rendu à Charlemagne dans cette ville, propose comme il se doit quand deux versions s'affrontent un compromis authentifiant le «S.» de «Sanctus Karolus imperator» à la date de 1267-1268, c'est-à-dire en un point tout de même plus proche de la chronologie proposée dès 1951 par Robert Folz. [Anm. 20] Une pièce récemment mise en lumière, une lettre d'indulgence adressée depuis Avignon en date du 8 février 1318 par les patriarches Isenard d'Antioche, Dominique de Grado et Julian de Gnesen présents à la cour de Jean XXII, évoque d'autre part clairement la fête de saint Charlemagne à Francfort et vient à tout le moins battre en brèche de deux ans l'hypothèse d'une datation basse de la sainteté carolingienne célébrée dans la collégiale. [Anm. 21]
Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins que c'est sous Frédéric II (qui séjourna 6 fois à Francfort) et sous Henri VII (qui y séjourna 16 fois) que se répandent à Francfort à la fois la commémoration anniversaire de Charlemagne (que l'on admette ou non la célébration de sa sainteté dès ce terme) et son statut de probable fondateur du chapitre. Il n'est pas indifférent de noter que l'ancrage mémoriel de Charlemagne à Francfort se produise précisément sous les derniers Staufen qui ont donné à la cité son premier privilège politique en 1219 (reconnaissance d'une communauté de bourgeois) et lui ont confirmé ses foires en 1240, c'est-à-dire ont cherché en un mot dans cette ville un point d'appui royal au centre de l'Empire.
Il est clairement établi en tout cas qu'au début du XIVe siècle, un chassé croisé a définitivement été entériné, celui qui voit Charlemagne prendre place aux côtés de Barthélemy comme co-patron de la collégiale en lieu et place du Saint-Sauveur, premier vocable de l'église. Il est remarquable de noter que l'on semble avoir ici affaire à une opération locale, et non point commandée par un empereur. En effet, dès 1332 un luminaire en l'honneur de la mémoire et de la fête de Charlemagne était commandé par un vicaire du chapitre et en 1345 deux flancs du banc canonial du chur de l'église portent les sculptures en bois ciselé de Charlemagne d'un côté, représenté avec sceptre et miniature d'église en fondateur impérial de la collégiale, et de Barthélemy de l'autre. [Anm. 22] Le chapitre de Francfort a donc entrepris parallèlement un double patronage Barthélemy-Charlemagne et une translation de fondation en faveur de Charlemagne bien avant que le culte de Charlemagne même ne connaisse, sur place et dans le reste de l'Empire, une grande faveur sous le règne de Charles IV (1346-1378).
L'opération reçoit son dernier brevet de légitimité en 1354 quand le chanoine de la collégiale Baldemar von Peterweil, grand réformateur des institutions du chapitre et rédacteur de la première description précise de la ville rue par rue, [Anm. 23] introduit un faux dans une copie d'un diplôme de 882 émis par Charles le Gros et confirmant la création du chapitre des douze chanoines de la collégiale. En mettant «Byppinus», c'est-à-dire Pépin, à la place de Louis le Germanique comme «genitor noster» de Charles, le document mentionnait clairement Charlemagne et non Charles le Gros comme fondateur. [Anm. 24] Aussitôt Baldemar fit fabriquer un ostensoir en argent associant Marie, Barthélemy et Charlemagne. Il n'est pas indifférent que la production de ce faux ait lieu deux ans avant la promulgation de la Bulle de 1356 qui fait de Francfort le lieu ordinaire de l'élection du roi des Romains (et, par habitude, la chapelle latérale du chapitre le cadre de son déroulement quoique la Bulle ne le dise pas explicitement). De même, la falsification intervient sous le règne de Charles IV de Bohême, un autre Karolus Magnus, grand admirateur de Charlemagne. Il faut ici rappeler que c'est à Francfort en 1349 qu'est mort de la peste Gunther de Schwarzbourg, élu anti-roi à Francfort en janvier 1349 par le parti bavarois et donc compétiteur de Charles IV sur le trône, et c'est même dans la collégiale qu'il fut enterré. Le faux de 1354 venait donc à point nommé pour évacuer la mémoire encombrante de l'anti-roi auquel le Conseil de Francfort et la collégiale avaient eu la malchance de rester fidèles et pour asseoir la grandeur et en quelque sorte l'intouchabilité du chapitre face à Charles IV qui faisait au même moment restaurer le reliquaire de Charlemagne à Aix-la-Chapelle et opérait sur le modèle aixois des fondations à Ingelheim et à Prague. Devant une telle concurrence et face au risque d'une défaveur royale, c'était bien l'imposant et irréprochable patronage de Charlemagne qu'il convenait de mobiliser. D'ailleurs c'est également après le faux et toujours à la date cruciale de 1356 que prend définitivement forme le 28 janvier la célébration impériale de la messe anniversaire de Charlemagne dont l'institution devait durer jusqu'en 1809 et se perpétue aujourd'hui encore. [Anm. 25] En effet, le légendier du chapitre composé en 1356 pour les mois de janvier à mars contient la «Summa de sanctitate meritorumque et gloria miraculorumque beati Caroli magni imperatoris». Accessoirement, ce patronage de saint Charlemagne en fondateur de la collégiale servit au chapitre à obtenir en 1358 de l'archevêque de Mayence une généreuse remise de subsides.
Dès 1359, Charles IV confirmait au chapitre tous les privilèges qu'il possédait «a dive recordationis Karolo Magno et ab aliis predecessoribus nostris». [Anm. 26] Les comptes du chapitre [Anm. 27] disent que la somme de 40 livres a été versée au notaire de ce diplôme, soit une somme très largement supérieure au tarif habituel: c'était peut-être le prix à payer pour s'attacher une conviction et gagner un brevet d'historicité. En tout cas, les confirmations royales postérieures de privilèges, celles de Wenceslas en 1398, de Sigismond en 1414, de Frédéric III en 1442 et de Maximilien en 1512 nomment toutes Charlemagne comme fondateur et comme saint patron du chapitre. Dès 1360, le 28 janvier, jour anniversaire de Charlemagne comme patron de la collégiale, était rangé parmi les grandes fêtes liturgiques du chapitre.
Cette appropriation tardive du patronage impérial pouvait assurément s'appuyer sur deux faits «historiques». Tout d'abord sur la présence de Charlemagne à Francfort à partir du 22 février 794, date de la première mention manuscrite de la ville «Franconofurd», et surtout tout au long du synode réuni à partir du 1er juin 794, et, d'autre part sur le toponyme de la cité, ce «Franken-Furt», soit le gué des Francs. Ce sont ces deux épisodes qu'il convient de détailler car ils forment le socle identitaire de la mémoire carolingienne ancrée dans l'espace médiéval francfortois.
Concernant le premier point, nous ne nous intéresserons pas directement aux décisions prises par le synode de Francfort tenu à l'été 794 et contenues dans le capitulaire en 56 chapitres portant sur la condamnation de l'adoptianisme d'une part et sur la querelle des images de l'autre. [Anm. 28] En revanche, on pourra retenir les différentes facettes du souverain et du législateur idéal telles qu'elles se sont manifestées à Francfort et telles qu'elles furent ensuite récupérées par l'orchestration de ce souvenir. Il est incontestable que Charlemagne est apparu en 794 comme le réformateur de l'Église, comme l'arbitre des querelles, comme un faiseur de paix (voir la réconciliation avec Tassilo), comme un pourvoyeur d'ordre dans le compte des monnaies, des poids et des mesures ou bien sur les routes (n'est-il d'ailleurs pas remarquable que de toutes les décisions francfortoises de 794, ce soient celles touchant à la monnaie et au système de compte fondé sur le denier qui aient survécu le plus longtemps, jusqu'en 1971 pour la Grande-Bretagne?). Dans son étude du couronnement impérial de Charlemagne, [Anm. 29] Robert Folz a bien vu que le concile de Francfort a marqué une étape essentielle dans la désignation et la représentation du pouvoir incarné par Charlemagne: il devient alors, comme l'a tant clamé Alcuin qui y conduisait les débats, le nouveau David. Bref il s'agissait là, pour reprendre le titre du grand symposium tenu en 1994 et publié en 1997, [Anm. 30] d'un véritable «point de cristallisation» de toute la culture carolingienne. Pour la ville même, outre sa première apparition écrite dans les textes, la tenue du concile signale la confirmation de l'installation d'un palais, bientôt suivi d'une chapelle. C'est bien à partir de ce cur transformé en basilique attenante au palais que se constitue la chapitre doté par Louis le Germanique dont le récit de la mort en 876 permet à Réginon de Prüm, au début du Xe siècle, d'ériger Francfort en «principalis sedes orientalis regni». [Anm. 31] La tenue du concile et les séjours royaux signalent également la position de Francfort au cur de la terre franque et sa vocation non seulement à accueillir les rois mais aussi tous les princes et les évêques, fonction maintes fois réactivée ensuite à travers les très nombreuses entrées et séjours de rois (75 de 794 à 911), les élections royales (jusqu'en 1147, seules 6 sur 20 n'ont pas eu lieu à Francfort et après 1356, seules cinq sur 22 ne s'y tiennent pas), les diètes et la tenue des foires, non seulement jusqu'au XVe siècle mais bien au-delà si l'on songe que de ville d'élection royale elle devint même cité du couronnement à partir de 1562.
Les chroniques locales de la fin du Moyen Age le répètent en tout cas à l'envi: les rois entrent à Francfort par la porte de l'ouest comme naguère le premier empereur franc. Cette fonction de passage puis d'installation liée à la figure de Charlemagne est également soulignée par le toponyme. Il faut ici écouter la chronique de Thietmar de Mersebourg (975-1018) pour l'année 1017 qui rapporte un itinéraire royal d'Henri II se rendant de Bamberg à Wurtzbourg puis à Francfort. À cette occasion, le chroniqueur explique le toponyme par ces mots: «L'origine de ce nom ne doit pas te rester longtemps caché, lecteur, c'est pourquoi je veux t'en rapporter ce que m'en ont dit des hommes dignes de foi. Sous le règne de l'empereur Charlemagne, le fils du roi Pépin, survint une guerre entre les siens et nos ancêtres [les Saxons]. Au cours de ces combats, les Francs furent défaits par les nôtres et lorsque les premiers, à la recherche d'un gué pour leur retraite, durent passer le Main, ils virent surgir devant eux un cerf qui, conduit par la miséricorde de Dieu, leur montra le chemin. Ils le suivirent et purent ainsi atteindre la rive salvatrice. Et c'est pourquoi ce lieu s'appelle Francfort, le gué des Francs. Inde locus hic Francorum dictus est vadum». [Anm. 32] La légende sera rapportée en ces mêmes termes par les «Gesta Friderici» d'Otton de Freising (1111-1158) [Anm. 33] et dans une version latine du «Ligurinus» [Anm. 34] de 1186-1187. [Anm. 35] Même tournée en dérision, cette origine demeure la pierre de touche des chroniques de la fin du Moyen Age: La Chronique des Saxons de Konrad Bote, imprimée en 1492 et comportant la plus ancienne représentation de Francfort après une première esquisse de 1485, rapporte l'épisode décrit par Thietmar mais sous un autre angle. Voulant en effet vanter l'histoire des Saxons, l'auteur leur prête la moquerie suivante: voyant Charlemagne passer le Main en catastrophe pour éviter la défaite, les Saxons se seraient écriés «Les Francs en fuite» c'est-à-dire en allemand «Franken fort». [Anm. 36]
À Francfort même, c'est la version thietmarienne la plus avantageuse qui a évidemment été conservée et célébrée, particulièrement à travers les chroniques, telle celle que composa dans la seconde moitié du XVe siècle le dominicain Petrus Herp. [Anm. 37] Le souvenir en est d'autre part ravivé par un rite politique éminent et singulier. Les chroniques de la fin du Moyen Age, en particulier celle du conseiller et bourgmestre Bernhard Rohrbach dans le dernier tiers du XVe siècle, [Anm. 38] rapportent en effet la tenue festive chaque année par le Conseil d'un prestigieux «repas au cerf», «bacchanalia cervi» ou «convivium cervi de consulatu», qui réunissait les magistrats, bourgmestres et échevins. On tuait alors un cerf que l'on avait nourri dans un enclos au pied des murailles (le fossé au cerf, Hirschgraben) et c'était l'occasion d'un banquet du Conseil. Le choix de l'animal, symbole de majesté, n'est pas le fait du hasard, il évoque en effet la chasse et la prééminence impériale tout à la fois, et devient le symbole d'un acte rituel manifestant le pouvoir local des élites dirigeantes du Conseil.
C'est à un véritable feuilletage de mémoires que nous avons affaire et que décrit bien l'illustration qui nous sert de fil conducteur: Charlemagne est ici fondateur de palais, fondateur de ville et fondateur de chapitre tout à la fois, coalescence qui laisse le souvenir de Charlemagne disponible et favorable tant au profit de la collégiale que de la ville elle-même car l'on va voir en effet que le véritable culte rendu à Francfort en faveur de Charlemagne a été une uvre de consensus entre le Conseil de la cité et le chapitre, une forme de célébration à la fois religieuse et civique qui engage l'ensemble de la communauté. [Anm. 39]
Cette célébration a commencé si l'on peut dire sur la défensive, au début du règne de Charles IV, dans des circonstances de réconciliation et de bonne volonté envers le nouveau roi qui ont déjà produit le faux de Baldemar von Peterweil. Dès 1353 on voit une statue de Charlemagne en roi mage surmonter le portail sud de la collégiale. [Anm. 40] Elle occupe une place particulière car elle surmonte à droite un rang inférieur composé, de droite à gauche, d'un prophète, de Pierre, de Joseph, de Marie à l'Enfant, de Balthasar, Melchior et Caspar. Placé au niveau supérieur tout en étant mis en relation avec les Rois Mages, Charlemagne encadre avec Barthélemy la Crucifixion. L'empereur y est représenté avec une barbe, selon un motif favorisé au même moment par Charles IV à Pragu, et apparaît comme fondateur de la collégiale dont il porte une maquette. D'autre part, sa mise en relation avec les Rois Mages ravive le souvenir de la canonisation de Charlemagne puisque les reliques des trois rois avaient été données à Cologne par Frédéric Barberousse, auteur de la procédure de 1165 en faveur de «saint» Charlemagne... D'autres monuments ont porté à Francfort la trace d'une célébration particulière de la figure de Charlemagne comme fondateur de la collégiale et patron mi-religieux mi-civique de la cité. En 1365, le Conseil fait achever sur la Galgentor des murailles de la ville, [Anm. 41] cette porte occidentale par laquelle entrent les souverains en ville (comme Charlemagne et les rois francs ), deux statues des patrons de la ville, dont Charlemagne de nouveau à droite et alors représenté en miles christianus, portant sceptre et modèle de la collégiale, et également pourvu d'une longue barbe, nouvelle concession au modèle propagé alors par Charles IV. Cette fois, Barthélemy et Charlemagne n'encadrent pas la scène de la Crucifixion comme sur le portail de la collégiale, mais entourent l'aigle impérial à deux têtes frappé sur les armes de la ville et chargé de signaler aux visiteurs que Francfort est ville d'Empire. C'est la seule tour fortifiée de la ville qui portait un programme architectural incluant une statuaire regardant vers l'extérieur, c'est-à-dire chargée d'accueillir le visiteur. Deux considérations peuvent l'expliquer. Comme la porte fridéricienne de Capoue, il s'agissait d'une porte d'entrée triomphale. [Anm. 42] D'autre part, depuis 1356 et les dispositions électorales de la Bulle d'Or, la ville était un lieu capital de l'Empire. Il s'agissait enfin d'un hommage rendu à Charles IV à travers un Charlemagne érigé en fondateur de l'Empire, de la ville et de la collégiale tout à la fois. En 1356 justement, comme on l'a vu, le légendier de la collégiale est entrepris et la date du 28 janvier commémore la «Summa de sanctitate meritorum et de gloria miraculorum beati Caroli» en même temps qu'est consignée la Translatio du 27 juillet (instituée par Frédéric II en 1215 à Aix-la-Chapelle).
De nombreux missels et bréviaires du XVe siècle entérinent ces célébrations et au milieu du XVe siècle apparaît dans l'hymne de la troisième séquence de l'office de Charlemagne une version proprement francfortoise qui chasse la référence à Aix-la-Chapelle de l'office consignée depuis le XIIIe siècle dans le «Codex Arnoldi» au profit de la cité du Main en remplaçant le «Urbs Aquensis urbs regalis» par «Franckenfurdensis urbs regalis, regni sedes principalis, prima regni curia». [Anm. 43] On trouve le modèle le plus élaboré de cette version patriotique de l'hymne à Charlemagne dans un missel festif et richement enluminé possédé depuis 1452 par les Rohrbach, l'une des toutes premières familles de patriciens, marchands, bourgmestres et échevins de la ville, qui ont laissé par ailleurs tout un cycle de chroniques rédigées par le père qui était bourgmestre et par le fils qui était chanoine de la collégiale. [Anm. 44] Le même phénomène se laisse observer dans un bréviaire contenant la fête de Charlemagne mise en exergue comme fête de première classe parmi les festa principalia, manuscrit fabriqué dans le premier tiers du XIVe siècle et transmis tout au long du XVe siècle par testaments et mariages au sein des familles de bourgmestres Heller, Frosch et Brun, d'ailleurs tous apparentés aux Rohrbach. Richement conservée par de grandes familles dirigeantes de la ville, cet office de Charlemagne adapté à la situation locale illustre parfaitement le caractère qu'en avait dégagé Robert Folz: une «ode au patriotisme municipal» dans lequel l'élite du Conseil tout comme celle de la collégiale pouvaient se reconnaître en plaçant Charlemagne au centre d'une célébration de mémoire qui confirmait Francfort dans son rôle de point central des destinées de tout l'Empire. On en veut encore pour preuve qu'en 1499, un vitrail du couvent des Carmes est inauguré, qui associe là encore Barthélemy et Charlemagne, tous deux en saint, accompagnés des armes de la ville, exactement comme sur la Galgentor. En 1499, c'est le Conseil tout entier qui finance une fresque associant les armes de la ville aux deux saints patrons urbains, Barthélemy et Charlemagne. Cette fresque ornait les murs du réfectoire du Couvent des Carmes qui constituait, avec l'église des Dominicains, un des endroits privilégiés des commandes des grandes familles. D'autres signes parlent en faveur d'une étroite association entre le patronage carolingien, les intérêts du Conseil et la position de Francfort au sein de l'Empire.
Ainsi, en 1379, le Conseil finance la refonte d'une Karlsglocke, cloche de Charles, appelée aussi Sturma, que la collégiale fit sonner à partir de 1399 en l'honneur de Charlemagne (Karlsläuten), sonnerie aujourd'hui encore en usage le 28 janvier. [Anm. 45] C'est cette même Sturma que l'on faisait voler lors des grandes fêtes de l'année liturgique, lors des entrées royales ou de l'arrivée d'un légat en ville, lors des processions du Conseil ou bien pour la mort d'un bourgmestre ou d'un chanoine et afin d'appeler les princes électeurs à entrer en conclave dans la chapelle de l'élection pour désigner le roi des Romains. Une seconde Carolusglocke également financée par les fonds du Conseil d'après la comptabilité de la ville fut fabriquée en 1440. Elle portait les dédicaces aux deux saints Barthélemy et Charlemagne séparés par l'aigle impérial et fut complétée en 1480 par la Bartholomäusglocke co-financée cette fois par le Conseil et le chapitre et qui portait sur ses flancs les deux portraits de Barthélemy et Charlemagne.
Un autre élément relie symboliquement Charlemagne, Francfort et l'élection royale. Ainsi, dans le chur même de la collégiale, le pan gauche du banc capitulaire représente Charlemagne portant le sceptre et la collégiale en miniature et le pan droite figure Barthélemy. Or on retrouve ce diptyque, qui était déjà celui de la porte de la ville et de la cloche, dans la chapelle même de l'élection. Au début du XVIe siècle en effet, des fresques représentant Charlemagne en patron et fondateur de la collégiale furent peintes sur les murs de la chapelle électorale. Charlemagne y est représenté avec Barthélemy, l'un et l'autre encadrant le Jugement Dernier: les deux figures sont celles de convertisseurs et de conducteurs de peuples tandis que l'évocation du Jugement Dernier sonnait comme un avertissement lancé aux Électeurs qui devaient désigner le roi des Romains, souverain universel. Les deux dimensions se retrouvent ainsi accolées à la ville de Francfort qui se présente dans une situation centrale non seulement au sein de l'Empire (lieu de réunion des Électeurs) mais aussi de la Chrétienté. C'est un argument de cette nature qu'avait déjà fait valoir Nicolas de Cues dans son «De concordantia catholica» en proposant Francfort, «lieu très approprié», comme point de rencontre politique régulier d'un Empire rénové conduisant les peuples de la chrétienté à la paix.
Autre concordance et autre rappel encore. Alors que jusqu'en 1429 la frappe de la monnaie avait été confiée par le roi à des monétaires privés, Sigismond accorda ce droit au Conseil de Francfort en son entier avec privilège de battre des florins d'or. Aussitôt c'est le portrait de Charlemagne que le Conseil choisit de frapper sur ce nouveau type monétaire (en s'inspirant du sceau de la ville qui en 1342 montrait Charlemagne en majesté muni du sceptre et du globe impérial), d'où le nom de Karlsgulden, l'empereur étant représenté avec l'épée dans la main droite et la collégiale dans la main gauche. Il s'agit là de la réplique exacte de la statue de la Galgentor de 1365. Ici encore les intérêts de la collégiale électorale et du Conseil de ville sont intimement liés par figure de Charlemagne interposée, à telle enseigne qu'en 1477 le Conseil fait peindre un portrait de Charlemagne en majesté dans la salle où se déroulait l'élection du bourgmestre selon une figuration qui n'est pas sans annoncer le célèbre portrait de Dürer. Quelques années plus tard, on l'a vu, des fresques représentant Charlemagne vont décorer les murs d'une autre salle d'élection, celle du roi des Romains cette fois: ce parallélisme des décors dans deux salles d'élection placées sous l'évocation de la capitale romaine de la chrétienté universelle – la première salle du Conseil qui s'appelle alors le Römer et la seconde qui voit la désignation du rex Romanorum, et ce à travers la figure d'un empereur couronné également à Rome – ne peut pas tenir du hasard.
Ville d'Empire, Francfort trouvait en Charlemagne une figure d'identification à la fois universelle et locale: universelle et impériale en cela que Francfort s'empara, comme le firent Aix-la-Chapelle, Nuremberg ou d'autres villes, de symboles disponibles et variés et usa de faux pour se rattacher à tout prix au prestigieux modèle. Il s'agit cependant aussi d'une identification locale dans la mesure où Charlemagne apparaît à Francfort à la fois comme fondateur de la ville et du chapitre, figure mi-religieuse et mi-civique. Ce jeu sur la mémoire et sur le souverain saint satisfaisait aussi bien les intérêts des magistrats du Conseil que ceux des chanoines de la collégiale, d'autant mieux que les uns et les autres appartenaient à la même couche dirigeante de la cité. Ce n'est pas un des moindres mérites du souvenir de Charlemagne que d'avoir contribué à une forme de consensus dans une ville consciente de ses devoirs et de ses intérêts entre foires, diètes et élections royales.
Résumé
Partant de l'ouvrage entre temps classique de Robert Folz sur le culte liturgique de Charlemagne dans les églises de l'Empire (Paris, 1951), la communication se propose d'observer la mise en place du culte puis du souvenir de Charlemagne dans l'une des grandes villes d'Empire de l'Allemagne, Francfort-sur-le-Main. Cette ville est impériale à plus d'un titre, non seulement parce que sa collégiale fut l'une des premières à introduire le culte et la liturgie de l'empereur canonisé en 1165, mais aussi parce que cette même collégiale sert de théâtre à l'élection du roi des Romains, et ce habituellement avant 1356 puis légitimement après la Bulle d'Or. Impériale, la ville l'est encore en raison de son statut juridique et institutionnel: le roi des Romains en est le seigneur direct et lui a accordé des privilèges qui garantissent au Conseil et à la communauté des bourgeois un ensemble de libertés qui place Francfort dans une position de grande autonomie politique, gage d'une prospérité économique alimentée par les deux foires annuelles de la fin du Moyen Âge.
Francfort vait donc plus d'une raison de se sentir redevable envers l'empereur Charlemagne qui y a convoqué en 794 un concile dont la relation écrite fait surgir pour la première fois le nom de Franconofurd dans les sources, et qui y établit un palais et une chapelle que Louis le Germanique érige en chapitre d'une collégiale dotée sur le fiscus et placée sous le vocable du Saint-Sauveur.
Sous Frédéric Barberousse, promoteur de la canonisation de Charlemagne en 1165, les reliques de saint Barthélemy sont accueillies par la collégiale francfortoise qui est rebaptisée en 1239 sous le vocable du saint. Le terrain se trouve ainsi préparé pour que la rencontre entre Charlemagne et Barthélemy se fasse sous la forme d'abord d'une correction légendaire attribuant à Charlemagne la fondation de la collégiale puis sous la forme, attestée depuis le début du XIVe siècle, d'un double patronage Charlemagne-Barthélemy pour la collégiale, tandis que la liturgie en l'honneur de Charlemagne gagne en importance.
L'association des deux saints aurait pu demeurer limitée à la seule collégiale. Cependant elle déborde le chapitre pour toucher le Conseil et l'ensemble de la ville sous le règne de Charles IV (l'auteur, rappelons-le, de la Bulle de 1356 qui établit Francfort comme lieu coutumier de l'élection dans la collégiale). Chroniques de la ville, mobilier, processions, sceau, monnaies, cloches, portes fortifiées, fresques , le tout partiellement ou en totalité financé par les caisses du Conseil de ville, amplifient le souvenir et la mémoire de Charlemagne comme triple fondateur du palais, de la collégiale et de la ville. Dans cette ville des foires, des diètes et des élections royales, sous les empereurs Staufen Frédéric Ier et Frédéric II puis sous Charles IV de Luxembourg, tous passés maîtres dans l'usage bien compris de la puissante figure carolingienne, Charlemagne était devenu une autorité mi-religieuse mi-civique qui satisfaisait aussi bien les intérêts des familles du Conseil que celles du chapitre collégial, d'autant qu'il s'agissait des mêmes réseaux de parenté tenant dans leurs mains le gouvernement et la prospérité de la cité.
Zusammenfassung
Ausgehend von Robert Folz' klassischem Werk über den liturgischen Kult um Karl den Großen n den Kirchen des Kaiserreichs (Paris, 1951), möchte der Vortrag zunächst einen Blick auf die Entstehung dieses Kults und der Erinnerung an Karl den Großen in einer der großen Städte des Reiches, Frankfurt am Main, werfen. Dieser Stadt kommt in mehr als einer Hinsicht die Bezeichnung „kaiserlich“ zu, nicht nur, weil ihre Stiftskirche als eine der ersten den Kult und die Liturgie des im Jahr 1165 heiliggesprochenen Kaisers eingeführt hat, sondern auch, weil eben diese Stiftskirche als Wahlort des römischen Königs fungierte, und zwar gewohnheitsmäßig bereits vor 1356 und schließlich offiziell nach Erlass der Goldenen Bulle. Kaiserlich war diese Stadt auch aufgrund ihrer rechtlichen und institutionellen Stellung: Der römische Kaiser war ihr direkter Herr und hat ihr Privilegien gewährt, die dem Rat der Stadt sowie der Gemeinschaft ihrer Bürger eine Reihe von Freiheiten garantierten, die Frankfurt eine höchst unabhängige politische Stellung verschafften. Diese war Unterpfand für einen wirtschaftlichen Wohlstand, der seit dem späten Mittelalter durch die zwei jährlichen Messen gefördert wurde.
Frankfurt hatte daher allen Grund, sich Kaiser Karl dem Großen gegenüber dankbar zu zeigen, der 794 hier ein Konzil einberufen hatte, in dessen Niederschrift erstmals der Name „Franconofurd“ in den Quellen begegnet, und der hier eine Pfalz und eine Kapelle errichten ließ, an der Ludwig der Deutsche ein Stiftskapitel unter dem Patrozinium des Heiligen Erlösers errichtete und mit Königsgut dotierte.
Unter Friedrich Barbarossa, der die Heiligsprechung Karls des Großen im Jahr 1165 vorantrieb, wurden die Reliquien des Heiligen Bartholomäus in die Frankfurter Stiftskirche überführt, die ihm 1239 geweiht wurde. So war das Feld dafür bereitet, dass sich Karl der Große und Bartholomäus begegnen konnten, zunächst in der Form einer korrigierten Legende, die Karl dem Großen die Gründung der Stiftskirche zuschrieb, dann in der Form des seit Anfang des 14. Jahrhunderts nachgewiesenen Doppelpatroziniums Karl der Große und Bartholomäus, während die Liturgie zu Ehren Karls des Großen an Bedeutung gewann.
Die Verbindung der beiden Heiligen hätte auf die Stiftskirche beschränkt bleiben können. Sie griff jedoch während der Regierungszeit Karls IV. (der die Goldene Bulle von 1356 erließ, die Frankfurt zum Ort der Königswahl in der Stiftskirche machte) vom Kapitel auf den Rat und auf die gesamte Stadt über. Chroniken der Stadt, Ausstattungen, Prozessionen, das Siegel, Münzen, Glocken, befestigte Stadttore, Fresken..., all das, zum Teil oder ganz aus den Kassen des städtischen Rates finanziert, verstärkte die Erinnerung und das Gedenken an Karl den Großen als dreifachen Gründer der Pfalz, der Stiftskirche und der Stadt. In dieser Stadt der Messen, der Hoftage und der Königswahlen wurde Karl der Große in der Zeit der Stauferkaiser Friedrich I. und Friedrich II.sowie anschließend unter Karl IV. von Luxemburg – sie alle Meister in der Nutzung der mächtigen karolingischen Persönlichkeit für ihre Zwecke – zu einer halbreligiösen und halbweltlichen Autorität hochstilisiert, die ebenso gut den Interessen der Ratsfamilien wie jenen des Domkapitels diente, zumal es sich bei beiden um dieselben verwandtschaftlichen Netzwerke handelte, welche die Regierung und das wirtschaftliche Wohl der Stadt in Händen hielten.
Anmerkungen:
- Robert Folz: Études sur le culte liturgique de Charlemagne dans les églises de l'Empire, Paris 1951. Zurück
- Stadtarchiv Frankfurt am Main, BB III, 14, fol. 12: Liber censuum du chapitre Saint-Barthélemy de 1462. Gabriel Hefele (dir.): Ad bibliothecam ecclesiae Sancti Bartholomei. Mittelalterliche Handschriften aus der ehemaligen Stiftsbibliothek des Frankfurter Doms, Frankfurt am Main 1994. Voir aussi Dietrich Kötzsche: Darstellungen Karls des Großen in der lokalen Verehrung des Mittelalters. Dans: Wolfgang Braunfels (dir.): Karl der Große. Lebenswerk und Nachleben, 5 vols., Düsseldorf 1965-1967, ici vol. 4, p. 161. Zurück
- Robert Folz: Les saints rois du Moyen Age en Occident (VIe-XIIIe siècles), Bruxelles 1984, p. 146-148. Zurück
- Robert Folz: Le souvenir et la légende de Charlemagne dans l'Empire germanique médiéval, Paris 1950. Zurück
- Robert Folz: L'idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, Paris 1953. Zurück
- Robert Folz: Le couronnement impérial de Charlemagne, Paris 1964. Zurück
- Marc Bloch: Les rois thaumaturges, Paris 1924. Zurück
- Ernst Kantorowicz: L'Empereur Frédéric II, Paris 1980 (pour la trad. fr.). Zurück
- Alain Boureau: Histoires d'un historien. Kantorowicz, Paris 1990. Zurück
- Pierre Monnet: Particularismes urbains et patriotisme local dans une ville allemande de la fin du Moyen Age: Francfort et ses chroniques. Dans: Rainer Babel/Jean-Marie Moeglin (dir.): Identité régionale et conscience nationale en France et en Allemagne du Moyen Age à l'époque moderne, Sigmaringen 1997, p. 389-400. Zurück
- Heinrich Schmidt: Die deutschen Städtechroniken als Spiegel des bürgerlichen Selbstverständnisses im Spätmittelalter, Göttingen 1958. Johannes Bernhard Menke: Geschichtsschreibung und Politik in deutschen Städten des Spätmittelalters. Die Entstehung deutscher Geschichtsprosa in Köln, Braunschweig, Lübeck, Mainz und Magdeburg. Dans: Jahrbuch des Kölnischen Geschichtsvereins 33 (1958), p. 1-84 et 34/35, 1959-1960, p. 85-194. Dieter Weber: Geschichtsschreibung in Augsburg (Hektor Mülich und die reichsstädtische Chronistik des Spätmittelalters), Augsburg 1984. Klaus Wriedt: Geschichtsschreibung in den wendischen Hansestädten. Dans: Hans Patze (dir.): Geschichtsschreibung und Geschichtsbewusstsein im späten Mittelalter, Sigmaringen 1987, p. 175-205. Joachim Schneider: Heinrich Deichsler und die Nürnberger Chronistik des 15. Jahrhunderts, Wiesbaden 1991. Rudolf Hiestand: ‚Civis Romanus sum'. Zum Selbstverständnis bürgerlicher Führungsschichten in den spätmittelalterlichen Städten. Dans: Peter Wunderli (dir.): Herkunft und Ursprung. Historische und mythische Formen der Legitimation, Sigmaringen 1994, p. 91-110. Jean-Marie Moeglin: Les élites urbaines et l'histoire de leur ville en Allemagne (XIVe-XVe siècles). Dans: Les élites urbaines au Moyen Age (XXVIIe Congrès de la SHMES, Rome 1996), Paris 1997, p. 351-383. Zurück
- Sur le palais carolingien: Marianne Schalles-Fischer: Pfalz und Fiskus Frankfurt. Eine Untersuchung zur Verfassungsgeschichte des fränkisch-deutschen Königstums, Göttingen 1969. Elsbeth Orth: Frankfurt. Dans: Die deutschen Königspfalzen, vol. 1, Göttingen 1985. Zurück
- Konrad Bund: Frankfurt am Main im Spätmittelalter 1311-1519. Dans: Frankfurt am Main. Die Geschichte der Stadt in neun Beiträgen, Sigmaringen 1991, p. 53-152. Lothar Gall (dir.): FFM 1200. Traditionen und Perspektiven einer Stadt, Sigmaringen 1994. Zurück
- Gabriel Hefele (dir.): Der heilige Bartholomäus. Geschichte, Kunst, Verehrung. Katalog des Dommuseums Frankfurt 1989, Frankfurt am Main 1989. Zurück
- Wolf Erich Kellner: Das Reichsstift Sankt Bartholomäus zu Frankfurt am Main im Spätmittelalter, Frankfurt am Main 1962; Günther Rauch: Pröpste, Propstei und Stift von Sankt Bartholomäus in Frankfurt, Frankfurt am Main 1975. Zurück
- Karl Heinrich Rexroth: 750 Jahre Frankfurter Kaiserdom Sankt Bartholomäus 1239-1989, Frankfurt am Main 1989. Zurück
- Acte reproduit dans Johann Friedrich Böhmer: Codex diplomaticus Moenofrancofurtanus. Urkundenbuch der Reichsstadt Frankfurt, vol. 1, Frankfurt am Main 1836, p. 53. Zurück
- Folz, Études (voir n. 1), p. 33. Zurück
- C'est en particulier la thèse de Kellner, Reichsstift (wie Anm. 15), p. 16. Sur les éléments précis du débat et les querelles de datation: August Heuser/Matthias Kloft (dir.): Karlsverehrung in Frankfurt am Main, Frankfurt am Main 2000, p. 12-13. Zurück
- Ibid. Zurück
- Pièce décrite dans le catalogue mentionné aux deux notes précédentes, n° 8, p. 154. Publié par Johann Friedrich Böhmer/Friedrich Lau (éds.): Codex diplomaticus Moenofrancofurtanus. Urkundenbuch der Reichsstadt Frankfurt, vol. 2, , Frankfurt am Main 1901, p. 53, n° 92, p. 87. Original aux archives de Francfort. Zurück
- Reproduit dans: Hans-Joachim Jacobs: Das Bild Karl des Grossen in der Stadt Frankfurt im 14. Jahrhundert. Dans: Liselotte E. Saurma-Jeltsch (dir.): Karl der Große als vielberufener Vorfahr. Sein Bild in der Kunst der Fürsten, Kirchen und Städte, Sigmaringen 1994, p. 63-86. Voir aussi Barbara Bott: Frankfurt am Main – Sankt Bartholomäus. Dans: Die Parler und der schöne Stil 1350-1400, vol. 1, Köln 1978, p. 240-243. Zurück
- Publiée par H. v. Nathusius-Neinstedt: Baldemars von Peterweil Beschreibung von Frankfurt. Dans: Archiv für Frankfurts Geschichte und Kunst, 1896, p. 1-54. Zurück
- Kellner, Reichsstift (voir n. 15), p. 16. Jacobs, Das Bild Karl des Grossen (voir n. 22), p. 65. Original dans les Bartholomäusbücher des archives de Francfort, BB V 43, fol. 36r. Zurück
- En dehors de Francfort, seuls Aix-la-Chapelle, Saint-Denis et Valenciennes continuent d'honorer par un office la mémoire de Charlemagne. Zurück
- Folz, Le souvenir et la légende (voir n. 4), p. 446. Zurück
- Bartholomäus Stiftsbücher, V 43, fol. 106. Zurück
- 794 – Karl der Große in Frankfurt am Main. Ein König bei der Arbeit, Sigmaringen 1994; Rainer Berndt (dir.): Das Frankfurter Konzil von 794, 2 vols., Mainz 997. Zurück
- Folz, Le couronnement impérial (voir n. 6), p. 134-136. Zurück
- Voir le second titre de la note 28. Zurück
- Friedrich Kurze (éd.): Reginonis Abbatis Prumiensis Chronicon (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum germanicarum 50), Hannover 1890, Réimpr. 1989, p. 111. Sur ce contexte et le renvoi aux chroniques du concile de 794 nommant «Franconofurd» et au texte de Réginon, voir: Elsbeth Orth: Frankfurt am Main im Früh- und Hochmittelalter. Dans: Frankfurt am Main (wie Anm. 13), p. 9-52. Zurück
- Robert Holtzmann (éd.): Die Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum germanicarum, Nova series 9), Berlin 1935, Réimpr. 1996, Lib. VII, 75, p. 490. Zurück
- G. Waitz (éd.): Ottonis et Rahewini gesta Friderici I. imperatoris (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum germanicarum 46), Hannover 1912, Réimpr. 1997, Lib. I, XLV, p. 63. Zurück
- Erwin Assmann (éd.): Gunther der Dichter. Ligurinus (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum germanicarum 63), Hannover 1987, I, 180, p. 162. Zurück
- Carmen Schenk, Burkhard Kling: Karl der Große und Frankfurt. Dans: Saurma-Jeltsch (dir.), Karl der Große (voir n. 22), p. 139-173. Zurück
- Incunable imprimé à Mayence chez Peter Drach en 1492. Reproduit par exemple chez Bund, Frankfurt am Main (voir n. 13), p. 114. Zurück
- L'original, les «Collectanea Fratris Petri Herpi Dominicani Francofurtensis», a disparu, mais on en conserve une copie manuscrite réalisée en 1599 par Konrad von Uffenbach. Stadtarchiv Frankfurt am Main, Uffenbach 7, III B, S/5 55. Elle est publiée par Richard Froning (éd.): Frankfurter Chroniken und annalistische Aufzeichnungen des Mittelalters, Frankfurt am Main 1884, p. 58-66, ici p. 58. Zurück
- Pierre Monnet: Les Rohrbach de Francfort. Pouvoirs, affaires et parenté à l'aube de la Renaissance, Genève 1997; Id., La ville en fête: conceptions et représentations à Francfort (et dans quelques autres villes d'Empire) à la fin du XVe siècle. Dans: Gérald Chaix (dir.): La ville à la Renaissance. Espaces, représentations, pouvoirs, Tours, à paraître. Zurück
- Pierre Monnet: Führungseliten und Bewusstsein sozialer Distinktion in Frankfurt am Main (14. und 15. Jahrhundert). Dans: Archiv für Frankfurts Geschichte und Kunst, 66, 2000, p. 12-78 et version française de l'article: Élites dirigeantes et distinction sociale à Francfort-sur-le-Main (XIVe-XVe siècles). Dans: Francia, 27, 2000, p. 117-162. Zurück
- Jacobs, Das Bild Karls des Großen (voir n. 22), p. 74. Heuser/Kloft (dir.), Karlsverehrung (voir n. 19), p. 115. Zurück
- Jacobs, Das Bild Karls des Großen (voir n. 22), p. 78-86. Zurück
- Tanja Michalsky: ‚De ponte capuano, de turribus eius, et de ymagine Frederici ' Dans: Kai Kappel/Dorothee Kemper/Alexander Knaack (dir.): Kunst im Reich Kaiser Friedrichs II von Hohenstaufen, München-Berlin 1996, p. 137-151. Zurück
- Adalbert Erler: Die Karlsliturgie im Frankfurter Kaiserdom. Dans: Archiv für Frankfurts Geschichte und Kunst, 49, 1965, p. 79-86; Astrid Krüger: Die liturgische Verehrung Karls des Großen. Dans: Heuser/Kloft (dir.), Karlsverehrung (voir n. 19), p. 26-56. Zurück
- P. Monnet: Les Rohrbach de Francfort (voir n. 38). Zurück
- Konrad Bund: Eine Chronik des Frankfurter Domgeläutes. Dans Konrad Bund (dir.): Frankfurter Glockenbuch, Frankfurt am Main 1986, p. 228-314. Zurück